Belles plantes sous rayons X
Moi qui suis passionnée de cinéma et de théâtre, je ne rate jamais une occasion de voir sur scène des acteurs habitués aux plateaux de cinéma. Cela donne le sentiment de les voir sortir de l’écran et prendre vie sous nos yeux, comme s’ils devenaient un peu plus réels. Ce qui, quand c’est réussi, donne encore plus de poids à la partition.
« De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites », pièce de Paul Zindel, se situe dans l’Amérique profonde des années 70, qui n’est pas sans rappeler la pièce Sunderland. Une mère seule à moitié folle rêve d’ouvrir un salon de thé bien à elle tandis qu’elle peine à élever ses deux filles : Ruth, ado rebelle en pleine émancipation (sublime Alice Isaaz, à suivre) et Mathilda, jeune passionnée de sciences, introvertie. Le malaise s’installe progressivement dans cette atmosphère 100% féminine où la mère, complètement déconnectée des réalités, jalouse sa fille dans laquelle elle se reconnait et bride l’intello de la famille dans laquelle elle ne se reconnait pas.
Isabelle Carré met en scène et incarne avec brio cette mère fantasque, hippie, qui n’a plus aucune limite, qui négocie avec sa fille à coups de cigarettes et de bouteilles d’alcool, qui drague le proviseur de Mathilda et qui règne en matrone aussi douce que cruelle. La pièce dresse un formidable portrait de femmes et l’on est sidérée par cette relation mère-filles choquante et cruelle, qui est pourtant devenue leur quotidien.
On comprend vite le parallèle entre l’expérience menée par la jeune sœur qui expose des fleurs à des rayons pour en étudier leur évolution (comme l’indique le titre) et l’influence de la mère sur le comportement de ses propres filles. La question est de savoir comment chacune des deux peut se développer à sa manière dans cet univers malsain. Isabelle Carré réussit le tour de force de rendre cette mère « borderline » attachante et si chacune de ses phrases nous semble d’une agressivité inouïe, on est terrifié par les réactions de chacune de ces trois femmes face à la violence de leurs relations et l’on se demande jusqu’à quel point elles sont capables de s’autodétruire. La famille, dans tout ce qu’elle a de plus fort et de plus terrifiant.
Mise en scène : Isabelle Carré
Actrices : Isabelle Carré, Alice Isaaz et Armande Boulanger
Théâtre de l’Atelier