Charlot!
C’est peut-être parce qu’il incarne l’icône du muet que Chaplin s’est toujours considéré comme un citoyen du monde, capable de parler au monde entier. Véritable figure créative du XXème siècle, Chaplin a fait rire et a su émouvoir des générations entières de cinéphiles. Qui ne connait pas Chaplin ? Mais au fond, qui connait véritablement Chaplin ? Car au-delà du vagabond gaffeur et touchant auquel il a prêté ses traits tout au long de sa brillante carrière, Chaplin peut être observé comme un témoin du siècle, de ses évolutions et de ses turpitudes. Et comme souvent, les grands comiques à la scène mènent une vie beaucoup plus sombre lorsque les projecteurs s’éteignent.
Cette pièce nous offre quelques extraits des films de Charlot mais présente surtout l’homme qui se cache derrière l’artiste, de ses origines misérables en Angleterre, ses débuts difficiles en tant qu’immigré, ses premiers sketchs dans la rue et au music-hall et ses premiers pas au cinéma balbutiant du début du siècle. Les tableaux se succèdent pour nous faire découvrir l’envers du décor, Charles Spencer sans son costume de Chaplin qui a fait sa renommée mais aussi parfois son malheur. Juif de circonstance (ça fait mieux pour travailler dans le cinéma), il a dû se battre pour défendre son talent, la particularité de ses numéros, mais aussi pour affirmer ses prises de position politique. Son engagement lui valut bien des torts, et son goût prononcé pour les femmes, jeunes de préférence, n’aura pas arrangé ses affaires. S’il est adulé par le public et les critiques qui réservent à chacun de ses films un triomphe, il attise des convoitises et les responsables politiques en lutte contre le communisme voient d’un mauvais œil ses prises de position. Ses différentes conquêtes sauront profiter de ses largesses et de son pouvoir dans le milieu très fermé du cinéma, et certaines n’hésiteront pas à le plumer lorsqu’elles seront délaissées, affaiblissant toujours un peu plus le génie du mime qui avait décidé de donner la parole aux opprimés plutôt que de se taire.
La scène est grande, les décors fastueux, la lumière et les accessoires donnent vie à différents tableaux de la vie de Chaplin à travers toute une galerie de personnages. Si c’est passionnant de découvrir l’homme derrière le personnage, on peut regretter une surabondance de scènes parfois inutiles et rarement approfondies. Les personnages féminins n’ont qu’une place très limitée, et l’on peut regretter la scénographie sur accessoirisée souvent au détriment du jeu des acteurs. Malgré quelques pesanteurs, la mise en scène épurée permet de voguer, d’un épisode de la vie de Chaplin à l’autre (époustouflant combat de boxe). Il faut également reconnaître le talent de Maxime d’Aboville qui fait renaître Chaplin sous nos yeux Il a su adopter sa démarche et ses mimiques, confirmant son talent suite au Molière reçu en 2015. L’image de Chaplin est haute en couleurs, pleine de contradictions à la hauteur de ce personnage aussi talentueux que coléreux. Encore une fois, le parcours de cet homme d’hier a de quoi marquer aujourd’hui et nous faire réfléchir à l’avenir que nous voulons construire ensemble.
Auteur et metteur en scène: Daniel Colas
Artistes : Maxime D’Aboville (Molière du meilleur acteur 2014), Béatrice Agenin, Linda Hardy, Benjamin Boyer, Xavier Lafitte, Adrien Melin, Coralie Audret, Alexandra Ansidei, Thibault Sauvaige, Yann Couturier
Extrait : https://youtu.be/BcLAnpxUplc