Des souris et des hommes, tous les bêtes
Cette œuvre de Steinbeck étant la plus connue, il est peu probable d’aller la voir jouer sans en connaitre la fin. Et pourtant, on y va, non pour le suspense de savoir comment ça se termine mais bien plus pour revivre une expérience aussi bouleversante qu’humaine.
Georges et Lenny parcourent les routes de l’ouest américain à la recherche de boulot dans les fermes. Si rien n’est simple dans le contexte de la grande dépression des années 30, le handicap de Lenny n’arrange en rien les choses. Cette force de la nature a tout d’un simple d’esprit un peu trop affectueux. Il ne fait rien de mal mais ne se contrôle pas. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est caresser ce qui est doux, qu’il s’agisse d’une souris ou de la jupe d’une femme. Oui mais voilà, souvent les souris meurent de ce trop d’amour et les hommes voient en lui un violeur compulsif. Georges, l’esprit et le meneur, fait tout ce qu’il peut pour gérer ce binôme atypique et surprenant. Ici plus qu’ailleurs, il est essentiel de se faire oublier, de rentrer dans le moule, de ne pas faire d’histoires. Car ces deux-là ont un rêve. Accumuler leurs maigres économies pour acheter leur propre lopin de terre et ne plus être esclave de patrons ingrats.
Le succès record de cette pièce est amplement mérité. Philippe Ivancic donne vie à un Lennie plus vrai que nature, aussi bouleversant qu’attachant. La mise en scène épurée et le décor en cagettes installe à merveille une ambiance lourde et écrasée par la chaleur. Les dix comédiens et le chien nous offrent un bond en arrière, dans une chronique humaine qui n’a rien perdu de sa force ni de son actualité.
Steinbeck nous parle à travers des thèmes universels. Le rejet de l’autre, la différence qui fait peur, le racisme et la jalousie. Le parcours de ces deux hommes dont personne ne veut et qui luttent pour trouver leur place résonne en nous plus que jamais : montée du chômage, stigmatisation de l’autre, communautarisme et exclusion. Au-delà de la réflexion qu’il permet, ce spectacle nous transmet avant tout énormément d’émotion, à travers la personne de Georges qui a pris sous son aile Lenny au point de lui sacrifier sa vie. Le personnage du vieil homme blessé avec son chien est également central puisqu’il s’accroche à ce duo attachant pour sortir de sa solitude, il s’y agrippe pour survivre. On prend conscience que seul le lien entre les êtres permet de rester humain et de s’en sortir la tête haute. La fin est majestueuse, célébrant l’amitié et la fraternité. Alors que le piège se referme sur Lennie et qu’il n’y a plus d’autre issue pour lui qu’un lynchage par une horde déchaînée d’hommes assoiffés de vengeance aveugle, Georges décide d’abréger les souffrances de Lennie tout en continuant à lui faire croire que leur rêve est possible. Une grande leçon d’amitié et d’humanité.
Auteur : John Steinbeck
Comédiens : Philippe Ivancic, Jean-Philippe Evariste, Dounia Coesens, Jean Hache, Jacques Bouanich, Henri Deus, Emmanuel Lemire, Emmanuel Dabbous, Augustin Ruhabura, Herve Jacobi
Metteur en scène : Jean Philippe Evariste, Philippe Ivancic
Extrait : https://youtu.be/yItcStQFCd0