Les déracinés de la cerisaie

« La prochaine pièce que j’écrirai sera drôle, très drôle, du moins dans l’approche » (Tchékhov, 1901)

Si certains auteurs doivent se retourner dans leur tombe en voyant des mises en scène décadentes de modernité, parions qu’Anton Tchékhov applaudirait à cette version proposée par la compagnie tg STAN (Stop Thinking About Names). Montant des projets sans metteur en scène, ces acteurs proposent leur vision originale et souvent à contre-courant. Cette cerisaie s’impose dans un registre comique, alors que bien souvent cette pièce est montée comme une tragédie. Or, dès le départ, Tchékhov a contesté le sens dramatique donné à sa pièce : « Pourquoi s’obstine-t-on à appeler ma pièce un drame ? ». Pourtant, en effet, à la première lecture, rien ne prête à sourire au sein de cette cerisaie. La propriétaire de cet exceptionnel domaine a flambé tout l’héritage familial et elle est aujourd’hui contraindre de vendre, au désespoir de toute la famille. La pièce s’ouvre sur les cartons et l’on ressent immédiatement qu’on aborde une période de transition, loin des fastes d’antan, baignée de nostalgie et de regrets. En réalité, les personnages inventés par Tchékhov ont cette naïveté qui les rend inconscients du drame qu’ils vivent. Ils vivent dans un tel décalage par rapport à la réalité, ils ne se rendent pas compte de leur mode de vie décadent et inapproprié par rapport au monde qui les entoure. Ils prêtent plus à sourire qu'ils n’inspirent la pitié. Lioubov, la propriétaire des lieux est certainement la plus paradoxale. Elle continue à dépenser sans compter et fait preuve d’une générosité bien au-delà de ces moyens. Mais elle continue à brûler la vie par les deux bouts, comme si elle voulait profiter de chaque instant tant que c’est possible. L’oisiveté ne fait pas bon ménage avec le train de vie qu’elle mène. Et en même temps, c’est ce qui rend tous ces personnages humains et attachants, car ils refusent de s’inquiéter du quotidien ou des contraintes bassement matérielles. Ils veulent vivre, danser, boire et chanter. Les comédiens survolent la scène, s’adressant directement au public, et faisant volant en éclat les limites de la scène.

Leur bonne humeur communicative nous fait oublier les moments sombres qui s’annoncent, et leur superbe énergie donne toute sa modernité à la pièce de Tchékhov. A une époque où l’on ne cesse de nous rabâcher que c’est la crise, où la hausse du chômage va de pair avec la précarité et la perte de lien social, alors que la culture est mise en danger par les impératifs économiques et de rentabilité, Tchékhov nous délivre un appel à la résistance. Amusez-vous, buvez, dansez, philosophez et préservez votre insouciance. A tout prix !

D'Anton Tchekhov

Mise en scène tg STAN

Avec Evelien Bosmans, Evgenia Brendes, Robby Cleiren, Jolente De Keersmaeker, Lukas De Wolf, Bert Haelvoet, Minke Kruyver, Scarlet Tummers, Rosa Van Leeuwen, Stijn Van Opstal, Frank Vercruyssen