Ça ira (ou pas)!
Ça pourrait être le message d’espoir à faire passer au lendemain d’une énième mise à mal de l’Humanité. Ça ira. Ha bon ? Ça ira parce que nous nous battrons ? Comment ? Contre qui ? Combien de temps ? Ça ira parce qu’il faudra bien que ça aille, on n’a pas le choix, ça ira, un jour, peut-être, plus tard.
Ça ira, c’est « drôle », c’est aussi le titre de la nouvelle création de Joël Pommerat à laquelle j’assistais en ce soir du 13 Novembre 2015. Un peu de théâtre alors. Un théâtre plus que jamais criant de vérité. Un théâtre dans lequel la fiction se confond avec la réalité. Ça ira. Cette phrase, elle est prononcée en 1791, par un certain Louis. Louis XVI. Alors que la Révolution a fait son œuvre en accouchant de la Démocratie, l’Histoire poursuit sa route. A la toute fin de la pièce, royalement assis sur son billard, Louis rassure son conseiller. Il en est certain, « ça ira ». Ironie de l’Histoire, quelques mois plus tard, « ça ira »….beaucoup moins bien. Louis a perdu la tête.
Comme aujourd’hui, le contexte est alors difficile. Dramatique, et pas seulement parce que théâtral. C’est tout l’inverse. Durant les quatre heures que dure la pièce, on a l’impression d’être plongés dans notre quotidien : crise économique, revendications multiples, gouffre financier et social, tensions qui appellent à la Révolution. Les scènes s’enchaînent, tour à tour dans nos journaux télévisés, à l’Assemblée Nationale (fraîchement créée à Versailles et revendiquée par le tiers état), dans les manifs, avec les revendications qui sont encore celles de milliers de gens aujourd’hui. « On a faim ». Pas de brioche Madame la Reine, pas de violence ou de vengeance Monsieur le terroriste. Dans une salle plongée dans la pénombre, des hommes sortent du public, débarquent de toutes parts. Les coups de feu éclatent. Ouf, ceux-là ne sont que des comédiens et leurs balles fictives.
C’est toute la modernité de l’approche de Pommerat. Il ne propose pas une pièce sur les bouleversements de 1789, mais une pièce sur l’engagement. Politique, citoyen. Et avec une écriture et une mise en scène hyper actuelles, la pièce nous plonge dans un réalisme effrayant. Si lors d’une allocution, le bon Louis arrive à son meeting "prési-royal" sous les acclamations d’une foule en délire, répond aux demandes de selfies des fans et se prête au bain de foule et au serrage de mains très XXIème siècle, dans l’intimité, il est seul, il est en détresse, il est dépassé et impuissant face à la Révolution en marche.
Alors qu’en 1789, la démocratie naissait (déjà dans un bain de sang, et sur scène hier on parlait de terrorisme entre les coups de feu portés de toutes parts à partir de 22h), aujourd’hui encore, en 2015, elle est mise en péril. Sur scène, 14 comédiens et autant de figurants interprètent une multitude de rôles, renforçant le sentiment de confusion, de panique, d’envahissement, comme pour brouiller les pistes et montrer que les frontières quelles qu’elles soient sont plus que jamais floues. Les intérêts généraux, communs, partisans et particuliers foisonnent dans une incompréhension générale. Les débats n’en finissent plus et pas un seul homme n’est capable de gérer le réveil des masses. Aller dans le détail permet de comprendre que chacun a ses raisons, son point de vue, sa ligne de défense. A l’époque, ce sont certains membres du Tiers-Etat, affamés et frustrés des lenteurs démocratiques balbutiantes, qui décident (légitimement? La question est posée) de se faire justice eux-mêmes et qui sombrent dans des violences, des boucheries, des attentats qui dépassent l’entendement et viennent ébranler l’idée même de démocratie.
Pommerat a voulu parler d’un passé au présent, en proposant une fiction vraie. Le spectacle se joue autant sur scène que dans la salle, comme si les spectateurs faisaient partie intégrante de l’histoire qui se déroule sous leurs yeux. Ils y sont plongés, immergés, malgré eux. Comme le théâtre du conflit qui s’étend aujourd’hui et auquel chacun de nous est confronté de force. La terreur est sortie des médias qui la relayaient pour s’installer parmi nous.
Alors oui, ça ira. Ça ira tout court, ça ira, pour que plus jamais l'Histoire ne se répète, pour que ce ne soit pas « fin de France » mais faim de France. Faim de culture, faim de liberté, faim de joie, faim de partage, faim de vie, faim d’espoir, « ça ira ».
(Photos Elisabeth Careccio)
Ecriture et mise en scène : Joël Pommerat
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir
Vu au Théâtre des Amandiers (Nanterre) puis France et Monde en 2016