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"Mes frères"



On reconnait la tension qui existe dans un pays aux pièces qui sont jouées dans ses théâtres. Sur scène ce soir se joue "J’appelle mes frères". Une pièce qu’on dirait tout droit sortie d’un journal télévisé diffusant en boucle les informations suite à un attentat.

« J'appelle mes frères et je dis: il vient de se passer un truc complètement fou. Vous avez entendu? Un homme. Une voiture. Deux explosions. En plein centre.

J'appelle mes frères et je dis: non personne n'a été arrêté. Personne n'est suspect. Pas encore.

J'appelle mes frères et je dis: préparez-vous. Ça va commencer. (…)

J’appelle mes frères et je dis : «Il vient de se passer un truc complètement fou. Je suis monté dans le métro et j’ai vu un individu extrêmement suspicieux. Il avait des cheveux noirs et un énorme sac à dos».

J’appelle mes frères et je dis : «Il m’a fallu une fraction de seconde pour comprendre que ce que j’avais vu, c’était mon propre reflet dans la vitre».





C’est justement sous forme d’un article publié dans un journal suédois après un attentat à la bombe à Stockholm en 2010 puis suite aux attentats de Charlie Hebdo que ce texte a pris forme sous la plume de Jonas Hassen Khemiri. Cette écrivain pose la question de l’identité, en particulier en ce qui concerne les jeunes issus de l’immigration, qui sont nés français mais que l’image renvoie toujours au statut d’ « étranger », cet autre, aggloméré, coupable parce que différent. L’histoire débute par l’explosion d’une voiture en centre-ville. La panique se répand dans la ville. Amor appelle ses frères. Il a peur. Peur de se faire tuer. Puis peur d’être pris pour le tueur. Le personnage principal évolue dans un univers schizophrénique, sans trop savoir qui il est, quelle attitude adopter, quel est son camp. Fait-il parti du « eux », les responsables, ou bien encore de ceux qui ont établi cette distinction ? On suit les errements d’Amor juste après le drame, entre ses pensées introspectives et ses rencontres qui vont venir questionner son identité, mettre en doute sa responsabilité. Amor est pris d’un vertige, il perd pied, assailli par ses angoisses, ébranlé par le monde qui l’entoure et dans lequel il ne trouve plus sa place.


Le texte est extrêmement moderne, malheureusement contemporain. Amor est quasiment toujours seul en scène, comme dans une configuration de « One Man Show ». Il s’adresse le plus souvent directement au public et le spectateur ne peut s’empêcher de partager les mêmes questionnements qu’Amor. Tout se fait à vue, le texte est drôle et incisif. Trois autres comédiens interprètent une galerie de personnages qui vont jalonner le parcours chaotique d’Amor et perturber un peu plus encore ses réflexions. Un magnifique travail est effectué sur la vidéo, les sons et surtout les lumières qui permettent de jouer sur les ombres projetées, difformes et oppressantes.


Cette première pièce de la Compagnie "Les entichés" marque les esprits et résonne encore longtemps hors du plateau, tant la frontière entre jeu et réalité est mince.

Auteur : Jonas Hassen Khemiri

Mise en scène : Mélanie Charvy

Compagnie les Entichés

Avec : Aurélien Pawloff, Paul-Antoine Veillon, Yasmine Boujjat, Millie Duyé

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